Les 10 et 17 juin, ce sont les élections législatives. Situé dans la foulée de l’élection présidentielle, ce scrutin est organisé sous l’influence de cette dernière, comme en 2002 et 2007. Le 6 mai, chacune des trois circonscriptions tarnaises a donné une majorité à François Hollande, le candidat socialiste finalement élu Président. Cela ne veut pas dire que, même si le 1er tour du scrutin législatif se situe 5 semaines après le second de la Présidentielle, trois socialistes vont être mécaniquement élus députés dans le Tarn. Plusieurs inconnues pèsent dans notre département sur le scrutin qui devraient infléchir le résultat, d’une manière ou d’une autre. La présente analyse entend passer en revue les principales.
Tout d’abord, l’élection se déroulera pour la 1ère fois dans le cadre du redécoupage conçu par Alain Marleix en 2009 (validé en 2010). Nous avons décrit dans un précédant post comment les limites des circonscriptions tarnaises ont été re-tracées “à dessein”, particulièrement celles des 1ère et 3ème circonscriptions où deux députés sortants se représentent, à savoir respectivement Philippe Folliot (apprenté Nouveau Centre) et Bernard Carayon (U.M.P.).
Les tendances dessinées par le scrutin présidentiel
Cependant un rédécoupage ne fait pas l’élection. L’évolution sociologique sur le long terme de l’électorat, le contexte précis dans lequel l’élection intervient, et l’évolution de l’offre politique concrète (en terme de programme et de personnel politique) comptent aussi beaucoup. C’est à ces deux dernières « clés » (le contexte, l’évolution de l’offre politique locale) que nos allons nous intéresser.
La 1ère donnée, contextuelle, à évaluer à trait aux tendances dessinées par l’élection présidentielle des 22 avril et 6 juin. La poussée à gauche a été sensible au niveau départemental (55,50 % des voix pour F. Hollande le 6 mai, soit + 4,8 % par rapport au score de S. Royal en 2007) comme dans chacune des circonscriptions et notamment dans chacune des principales villes du Tarn (toutes, sauf Mazamet, ont donné une majorité à François Hollande le 6 mai). Ce n’est pas la seule caractéristique du scrutin.
On peut relever aussi que le 22 avril, au 1er tour :
- la poussée de Marine Le Pen, candidate du Front National, (18,93 % dans le Tarn) a été suffisamment sensible pour rendre crédible la qualification pour le second tour des candidats du Rassemblement Bleu Marine (qui englobe le Front National) aux législatives dans les trois circonscriptions tarnaises. Pour se maintenir au second tour, Il faut en effet atteindre un score de 12,5 % des voix par rapport aux inscrits (si l’on n’est pas parmi les deux 1er). Marine Le Pen le 22 avril dans le Tarn a réuni 15, 78 % des inscrits. Dans chaque circonscription, le seuil des 12,5 % a été franchi, à la faveur il est vrai d’une forte participation (83,3 % au niveau du Tarn). Si elle se confirmait le 10 juin, cette possibilité de se maintenir au second tour pour les candidats Front National serait une 1ère.
- François Bayrou (Modem) a vu son score dans le Tarn être divisé par deux par rapport à 2007 (9,18 % ; 18,78 % en 2007). Cela rend plus compliquée la tâche des candidats partisans de François Bayrou aux législatives qui avaient pourtant tiré leur épingle du jeux en 2007, particulièrement Philippe Folliot (élu alors dans la 2ème circonscription).
- Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) a multiplié par six le score de Marie Georges Buffet (PCF) en 2007 (12,17 % ; 1,97 % en 2007). Ce « bond en avant » pourrait avoir particulièrement des effets aux législatives dans la 3ème circonscription (11,97 % pour J.L. Mélenchon) où le candidat Front de Gauche, Philippe Guérineau, bénéficie d’une notoriété certaine : candidat dissident P.S. dans la circonscription voisine de Castres – la Montagne en 2007, il avait alors réalisé 10,85 %.
- La progression socialiste au 1er tour a été modeste : F. Hollande totalise 30,69 % des suffrages quand S. Royal en avait réuni 29,30 %. Elle a été particulièrement limitée dans la 3ème circonscription (F. Hollande y obtient son score le plus bas des circonscriptions tarnaises : 28,58 %) où, on le verra, le Parti Socialiste se présente divisé à l’élection législative.
- Le recul de Nicolas Sarkozy, net au second tour, est limité au 1er de façon significative dans la 3ème circonscription où, avec 25,89 %, il est devancé de 2,69 % par François Hollande (près de 6 % d’écart dans la 1ère circonscription, plus de 4 % dans la 2ème). Cela fait sans doute de cette circonscription (où cependant F. Hollande a devancé Nicolas Sarkozy le 6 mai) la seule gagnable par l’U.M.P.
Comment les partis se sont-ils mis en « ordre de bataille » ?
Une autre donnée importante qui conditionnera le scrutin tient à la capacité qu’ont eu les partis politiques en lice à se mettre en « ordre de bataille » de façon plus ou moins ordonnée et plus ou moins rapide ces dernières semaines, un peu avant ou après le scrutin présidentiel, ainsi qu’à la notoriété, l’expérience, le « passif » ou les atouts des candidats que chacun d’eux à sélectionné. Si ont tente d’analyser cet aspect du « jeu électoral », pour les principaux partis[1], par circonscription, on constate des situation très diverses.
Dans la 1ère circonscription (Albi – Castres – La Montagne)
La procédure de sélection choisie par le Parti Socialiste, à savoir la désignation par les militants à l’automne 2011, a fonctionné ici sans difficulté, aboutissant à la désignation de Gérard Poujade, Maire du Séquestre, Conseiller Général, et 1er secrétaire fédéral. Cette désignation a été nette (mais moins qu’espérée). Gérard Poujade doit cependant faire face, depuis près d’un an, à une contestation importante de son autorité sur le P.S., liée à la situation dans la 3ème circonscription. Le Front de gauche présente une candidate, Géraldine Rouquette (P.C.F.), élue municipale d’opposition à Castres où elle avait réunie 15 % des voix aux élections cantonales de 2008.
A droite, l’U.M.P. n’a investit que très tardivement (quelques jours avant la date limite) Richard Amalvy. Ancien assistant parlementaire, celui ci a quitté le département en 2008. Il vit et travaille désormais à Paris. Cette désignation, visiblement par défaut, se double d’une option « étrange » quant au choix de son suppléant, Pierre Nespoulous. Celui ci, ancien leader de l’U.D.F. tarnaise dans les années 80, s’est de longue date retiré de toute activité politique. Une activité qu’il avait achevé dans une dérive vers l’extrême droite, en soutenant activement à la fin des années 90 la démarche d’alliance avec le Front National initiée par Charles Millon (ancien ministre et ancien Président de la Région Rhône Alpes).
Cela laisse ouvert au Centre droit un espace à Philippe Folliot, député « sortant » atypique : élu en 2007 alors qu’il était l’un des deux derniers parlementaires favorables à François Bayrou lors de la présidentielle à ne pas encore avoir « lâché » l’élu Béarnais, il a rejoint ensuite la Majorité U.M.P. – Nouveau Centre pendant la législature (en s’apparentant au groupe Nouveau Centre), avant d’être le seul député de cette majorité à soutenir à nouveau F. Bayrou lors de la Présidentielle 2012. Sans autre parti que le sien, encore jeune élu (il a 49 ans), menant une campagne « moderne » (il tweete), P. Folliot fédère « sur son nom » : sa suppléante, Gisèle Dedieux, est adjointe (appréciée) au Maire d’Albi ; lequel, sans étiquette (DVD) après avoir été longtemps un leader dans le Tarn du R.P.R. puis de l’U.M.P., lui apporte son soutien (discret) ; il fait état ces derniers jours du soutien des leaders nationaux du Nouveau Centre.
Le candidat Front National, Frédéric Cabrolier, en est le Président départemental. Il a un ancrage militant ancien : candidat F.N. depuis 20 ans, il a obtenu 20,22 % des voix sur le canton d’Albi Nord Est en 2011. A noter : il a été naguère Président du Football Club du Séquestre…
Dans la 2ème circonscription (Albi – Carmaux – Gaillac – Graulhet)
Jacques Valax, député sortant et candidat socialiste a été désigné sans opposition par son parti. Le score de François Hollande le 6 mai dans cette circonscription (59,98 %. Dont : 70,80 % à Carmaux, de 61 % à 64 % dans les cantons d’Albi concernés, 56,98 % à Graulhet ; 54,77 % à Gaillac) ) a semble-t-il dissuadé les autres partis d’y mener véritablement le combat électoral. Le Front de gauche est représenté par André Boudès (P.C.F.). Salarié de France Télécom, albigeois, candidat pour la 1ère fois à une législative, celui ci avait réuni 8,7 % des voix (derrière le candidat Europe Ecologie) sur le canton Albi Nord Est en 2011. En 2007, le candidat communiste sur la circonscription Carmaux – Albi d’alors, très implanté, Roland Foissac, avait dépassé les 14 %.
A droite, l’U.M.P. ne présente aucun candidat : dans le cadre d’une « Union des droites », elle soutient Henri Del Rey, officiellement souverainiste (Mouvement pour la France) qui était en 2011 adhérent … du Modem. Celui ci présente Françoise Rodet, ancienne Maire de Graulhet, qui lors des premières rumeurs sur sa candidature en février 2012 semblait devoir être désignée par… l’U.M.P. Loin de ces brouillages qui en disent long sur le désappointement de la droite et du centre droit dans cette circonscription, le Front National présente ici une autre de ses personnalités locale les plus influentes (avec F. Cabrolier) : Marie-Christine Boutonnet, ancienne présidente tarnaise du F.N., a obtenu 20, 88 % des voix en 2011 sur le canton albigeois où elle se présentait, résultat qui la situait très loin devant le candidat de droite (7 %). A noter : dans cette circonscription, Europe Ecologie les Verts (EELV) a pour candidate une figure nouvelle, Catherine Manuel, qui avait obtenu un résultat « à deux chiffres » sur l’un des cantons de la circonscription en 2011 (13,98 %, canton de Cordes).
Dans la 3ème circonscription (Castres – Lavaur – Mazamet)
Député sortant, président de l’U.M.P. dans le Tarn, membre du collectif de la Droite Populaire (groupe de 42 députés U.M.P. ayant adopté une charte dans laquelle ils déclarent « croire en la Nation »), Bernard Carayon s’est déclaré officiellement candidat à sa réélection seulement au lendemain de l’élection présidentielle. Dans un contexte difficile pour lui (François Hollande, majoritaire le 6 mai dans la circonscription, l’a été très nettement notamment à Lavaur, ville dont B. Carayon est le Maire, avec 55,51 %), il a vu cependant, sûrement avec le sourire, la gauche véritablement éclater dans cette circonscription.
Quatre candidats en effet se réclament des forces parlementaires de gauche qui ont appelé à voter François Hollande le 6 mai : Linda Gourjade (P.S.), Didier Houlès (Divers gauche, Maire et conseiller général d’Aussillon, dissident socialiste, en congés de parti), Philippe Guérineau (Front de gauche, conseiller municipal d’opposition à Castres, ancien socialiste), Francine Ricouart (EELV). Quatre candidats pour des forces qui ont totalisé un peu plus de 42 % des voix le 22 avril au 1er tour de la Présidentielle, cela fait beaucoup. La circonscription faisait partie de celles à propos desquelles des discussions entre forces de gauche ont été engagées au niveau national en mai pour des candidatures d’union en vue d’éviter l’élimination de la gauche du second tour et la qualification du Front National. Ces négociations ont échoué. La candidate socialiste est particulièrement fragilisée.
Au P.S., la circonscription ayant été réservée à la candidature d’une femme par souci de respecter la loi sur la parité, Linda Gourjade a été choisie par le vote des militants socialistes à l’automne 2011. Cette perspective de la désignation d’une femme a provoqué une incroyable mobilisation des notables (hommes) et des petits hommes d’appareil (secrétaires de section) du parti socialiste dans la circonscription. A un point tel que ces anti-parité dans la 3ème circonscription, sur le thème « une femme candidate, oui, mais pas chez nous », parvenaient à l’été 2011 à obtenir un vote en leur faveur des instances fédérales socialistes tarnaises convoquées… en l’absence du 1er secrétaire fédéral, Gérard Poujade. La candidature de Didier Houlès, issue de cette « révolte », officiellement désavouée par les instances socialistes, continue à bénéficier ouvertement du soutien de notables socialistes locaux : ainsi Xavier Parent, leader de l’opposition de gauche à Lavaur, appelle-t-il à soutenir Didier Houlès parce qu’il serait, lui, « à la hauteur des valeurs et de l’histoire » du parti socialiste (in La Dépêche, 04/06/12).
Cette cacophonie à gauche peut bénéficier à Anne Laperrrouze, Maire et conseillère générale de Puylaurens, candidate Modem. Cette femme, humaniste respectée, notoirement opposée à Bernard Carayon, avait réalisé un score honorable en 2007 (12,8 %). La division de la gauche peut surtout ouvrir les portes du second tour au Front National (20,05 % le 22 avril dans la circonscription). Celui est représenté par son secrétaire départemental, Jean Paul Piloz, qui avait réuni 26 % des voix lors des élections cantonales en 2011 dans le canton de Mazamet Sud Ouest (dont Didier Houlès est l’élu).
Une inconnue majeure : quelle sera la participation ?
Au terme de ce tour d’horizon, le contexte favorable à la gauche (l’élection de François Hollande à la Présidence) se voit adjoindre des bémols : si dans la 2ème circonscription, l’élection « dans un fauteuil » du socialiste Jacques Valax est très probable, la situation est plus incertaine dans les autres circonscriptions. Dans la 1ère, un duel au second tour entre Gérard Poujade (P.S.) et Philippe Folliot (Modem) serait sans doute serré. Et dans la 3ème, la zizanie à gauche, nourrie de rivalités locales et du refus de la parité, pourrait déboucher sur un second tour Bernard Carayon (U.M.P.) – Jean Paul Piloz (F.N.). On serait curieux de voir alors la position des porteurs des « valeurs socialistes », après ce qui serait un désastre pour la gauche : vote « républicain » pour Bernard Carayon ou pas ? Cependant, un tel scénario d’une présence d’un ou de candidats F.N. au second tour dans le Tarn dépendra en grande partie du niveau de participation. Depuis que les législatives sont positionnées en élections « secondes » après la Présidentielle (ce qui constitue une anomalie démocratique, mais c’est une autre question), elles ont connu une forte désaffection des électeurs : dans le Tarn, en 2007, la participation avait reculé de plus de 20 % entre la Présidentielle (88,23 % de votants ; 84 % de suffrages exprimés par rapport aux inscrits) et les Législatives (de 66,19 % à 68,46 % de votants selon les circonscriptions ; de 64,89 % à 67 % de suffrages exprimés par rapport aux inscrits).
L’absence réelle de campagne cette année encore, compte tenu de ce que les thèmes nationaux ont déjà tous été débattus lors de la présidentielle et que le temps manque pour débattre de thèmes locaux majeurs, à une ou deux exceptions près[2], laisse craindre une désaffection comparable des urnes le 10 juin prochain. Cela aurait une conséquence majeure : la barre à franchir en suffrages exprimés pour se qualifier au second tour sera plus haute. Ce pourrait être le seul véritable frein à la résistible montée du vote d’extrême droite dans le Tarn…
[1] Pour ne pas rallonger un texte déjà long, on ne peut évoquer les partis qui réunissent habituellement moins de 5 % des voix et qui présentent cependant des candidats. Il y a 35 candidats dans le Tarn.
[2] L’avenir de la filière granit, à l’initiative du F.N., dans la 1ère circonscription. Les conséquences environnementales de la création de l’Autoroute Castres-Toulouse et de la zone économique des Portes du Tarn à l’initiative d’Europe Ecologie dans la 3ème circonscription.
Crédit images : © Jean Sol pour Dans Ton Tarn
La situation dans la 3ème circonscription semble particulièrement grave. Merci pour cette analyse qui donne envie de réfléchir et de réagir.., tant qu’il est encore temps.
Pourquoi voter dans la 3ème circonscription ? Tout simplement parce que le risque de n’y avoir, au second tour, que des candidats de l’UMP et du FN n’est pas négligeable. Plus le nombre de votes exprimés à gauche sera faible et plus le poids du FN sera lourd. En s’abstenant ou en votant blanc dimanche prochain, on soutient, objectivement, l’UMP et le FN.
Pour qui voter dans la 3ème circonscription ? Tout simplement pour le candidat qui a le plus de chance de faire perdre B. Carayon : l’éparpillement des votes est totalement suicidaire.
Qui peut souhaiter subir encore une fois B. Carayon comme député, en rejetant la faute sur la division du PS, voire sur le principe de la parité ? Oui, c’est en raison de ce principe qu’il fallait bien une candidate femme PS dans le Tarn. Alors, au hasard, on lui a confié la 3ème, la plus inaccessible. C’est déjà ainsi que Monique Collange avait été élue députée en 1997. Mais, à l’époque, ce n’était pas la gauche qui était divisée mais la droite ! Aujourd’hui, nous n’avons pas le choix : nous devons nous unir.
Si B. Carayon est à nouveau élu député, c’est que chacun de nous l’aura bien voulu. Nous tous, citoyens écœurés par la façon dont la 3ème circonscription est représentée au parlement, nous devons, en nombre, sans état d’âme, voter pour Didier Houlès, le candidat dont des sources bien informées disent que c’était le candidat que redoutait le plus B. Carayon ! Une raison valable, non ?