Les 10 et 17 juin, les électrices et électeurs tarnais(es) sont appelés à élire leurs députés dans le cadre des élections législatives. En application d’une ordonnance du 29 juillet 2009, validée par le Conseil Constitutionnel le 18 février 2010, ils et elles auront à désigner non plus quatre députés, comme c’était le cas depuis 1986, mais trois, dans le cadre de circonscriptions « redécoupées » pour tenir compte, officiellement, de l’évolution démographique du département.
Un re-découpage tarnais pointé par le Conseil Constitutionnel
L’ordonnance du 29 juillet 2009 qui a réformé la répartition des sièges et la délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, préparée par Alain Marlaix, alors Ministre, ancien responsable des élections à l’U.M.P., a été ratifiée par la Majorité Parlementaire U.M.P. de l’Assemblée Nationale sortante en octobre 2009. Au lendemain de son adoption, cette ordonnance amenait l’hebdomadaire l’Express à titrer : « Le Tarn, symbole des invraisemblances du découpage électoral » (l’Express, 31/07/09, lire l’article ici : http://www.lexpress.fr/region/le-tarn-symbole-des-invraisemblances-du-decoupage-electoral_777931.html).
Après son adoption des parlementaires de gauche (dont les deux députés socialistes du Tarn : T. Carcenac, J. Valax) ont saisi le conseil constitutionnel. Celui ci s’est prononcé le 13 février 2010. Considérant que la délimitation proposée ne « méconnaissait pas manifestement le principe d’égalité devant le suffrage » il a estimé qu’elle était conforme à la constitution. Cependant, dans ce même texte de validation, le Conseil Constitutionnel, a pointé « le caractère discutable des motifs d’intérêt général invoqués pour justifier la délimitation de plusieurs circonscriptions, notamment dans les départements de la Moselle et du Tarn » (Pour en savori plus sur la décision du Conseil Constitutionnel lire ici : http://www.droitpublic.net/spip.php?article2822). Ce caractère discutable n’était pas aux yeux des « sages » suffisant pour invalider l’ordonnance. Mais il faisait bien du Tarn un cas limite quant à « l’impartialité » du redécoupage effectué en 2009.
L’absence de toute logique territoriale
Un intéressant café philo s’est déroulé il y a quelques mois à Mazamet au cours duquel géographes, observateurs et intervenants politiques tarnais ont débattu des enjeux « identitaires et géopolitiques » liés à ce redécoupage. Entre autres éléments, il y a été remarqué que :
- le département du Tarn, avant le redécoupage, était bien « surreprésenté », avec quatre circonscriptions comprenant en moyenne 95 000 habitants quand, compte tenu de l’évolution démographique française depuis le découpage de 1986, c’est par tranche de 125 000 habitants que les nouvelles circonscriptions devaient être créées dans le cadre du redécoupage. Le passage de 4 à 3 circonscriptions n’a donc rien eu d’abusif.
- Les circonscription, après re-découpage, comptent un écart de 19 000 habitants entre la moins peuplée et la plus peuplée. C’est assez important : entre 1958 et 1986, quand il y avait déjà 3 circonscriptions dans le Tarn, cet écart n’était que de 4 000 habitants.
- La question de « l’identité territoriale » n’a pas été à la base du redécoupage, ce qui peut entraîner certains points de tension. En effet, des incongruités nombreuses apparaissent en terme d’identité territoriale : les villes d’Albi et Castres sont désormais « éclatées » entre toutes les circonscriptions, certaines parties de la Préfecture et de la Sous Préfecture se retrouvant dans la même circonscription (la 1ère), certaines parties d’Albi étant dans une autre (la 2ème), certaines parties de Castres dans la 3ème. Le découpage n’a pas non plus tenu compte des limites de structures intercommunales majeures (communautés d’Agglomération d’Albi-Saint Juéry d’une part, de Castres Mazamet d’autre part).
L’intention : favoriser la réélection de Bernard Carayon (U.M.P.) ?
Si la « logique territoriale » n’a pas été recherchée, quelles données ont principalement présidé au redécoupage opéré ? Intervenant au café géo mentionné, Jacques Valax, député sortant socialiste, remarquait : des « cantons favorables à la gauche ont été enlevés de la circonscription de Bernard Carayon » (la 3ème) et inversement. Il apparaît en effet que les quelques modifications opérées qui concernent la 3ème circonscription (la seule a être globalement maintenue dans son dessin antérieur), dont l’ajout des cantons les plus à droite de Castres, favorisent le député U.M.P. sortant de cette circonscription. Accessoirement, le rédécoupage semble « affaiblir » Philippe Folliot (app. Nouveau Centre) député sortant qui se présente dans la 1ère circonscription : les cantons de Castres marqués à droite ont été soustraits du territoire de la circonscription où il se présente (ils intègrent la 3ème, on vient de le voir), des cantons classés à gauche d’Albi et ses environs (Villefranche d’Albi et Valence d’Albi) lui ont été ajoutés.
Ainsi, l’intention la plus apparente du redécoupage opéré semble bien avoir été de chercher à « faciliter » la ré-élection de Bernard Carayon et de compliquer celle de Philippe Folliot. Il est de notoriété publique que ces deux membres du personnel politique tarnais se détestent cordialement.
Les limites “démocratiques” du scrutin uninominal à deux tours
Au delà, l’enseignement principal du « redécoupage Marlaix » dans le Tarn est lié au mode de scrutin lui même, à savoir le scrutin uninominal à deux tours par circonscriptions territoriales infra-départementales : Gérard Bueno, professeur de géographie (lycées Soult de Mazamet, Centre Universitaire Champollion à Albi), remarquait au cours du café géo de Mazamet qu’« on ne peut découper une circonscription dans ce mode scrutin qu’en charcutant ». Peut-être une limite est-elle atteinte : il est sans doute vain de chercher à désigner des députés qui soient des « représentants » d’un territoire (la circonscription) cohérent quand ces territoires deviennent très vastes. De plus, c’est une source de « confusion » sur la fonction du député : constitutionnellement celui ci élabore et vote les lois de la République réuni en Assemblée avec ses collègues. Au sein de l’Assemblée Nationale, il est présent pour incarner la…Nation (c’est écrit dessus : Assemblée Nationale). Il n’est donc pas le porte voix des électeurs de la circonscription où il s’est présenté.
Aujourd’hui encore cet ancrage du député dans un territoire est présenté comme important. Hors, le territoire en question parait de moins en moins identifié et cohérent… Jean Louis Darréon, ancien directeur du Centre Universitaire Champollion, en tire cette conséquence : « On pourrait déconnecter le député de cet ancrage territorial ». Cela veut dire : établir un autre mode de scrutin. Un scrutin de liste, proportionnel ? Et pourquoi pas ?