Dans le Tarn comme partout, nombre d’élus sont devant le dilemne : “parrainer” ou pas un candidat à la présidentielle ? En 2007, 46 élus tarnais avaient renvoyé le “formulaire de présentation” et avaient vu leur nom être rendu public. Quel est le sens de ce geste ? Quelles sont ses modalités ? Réponses.
Dépôt officiel des candidatures. J moins pas beaucoup. Trop peu. « Nous n’y arriverons pas », assurent de « petits candidats ». Alors que le 16 mars 2012, date limite de dépôts au Conseil Constitutionnel des « parrainages » nécessaires pour pouvoir être enregistré comme candidat à l’élection présidentielle des 22 avril et 6 mai prochains, approche, plusieurs… impétrants s’inquiètent. Ils craignent de ne pas être en mesure de déposer 500 formulaires d’élus déclarant les « présenter », comme le demande la loi. Corinne Lepage (Cap 21), Dominique de Villepin (République Solidaire), Nicolas Dupont Aignan (Debout la République), Philippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste), Marine Le Pen (Front National), entre autres, disent leurs craintes, décrivent comment la recherche des parrainages leur prend du temps et les empêche de faire campagne comme ils le souhaiteraient, demandent (ou ont demandé) un changement de « règles ».
Ce dernier espoir a été déçu le 21 février dernier quand le Conseil Constitutionnel, saisi par Corinne Lepage, Marine Le Pen et Christine Boutin (un temps candidate elle aussi), a confirmé que les conditions d’applications de la loi organique du 18 juin 1976, et notamment la publication du nom de 500 des « parrains » de chaque candidat, n’avaient pas à être modifiées. Comme il y a 5 ans, dans la dernière ligne droite avant la campagne électorale officielle, l’émoi qui va crescendo sur la question des « parrainages » est désormais à la fois une séquence classique de l’élection présidentielle et un marqueur de ce que celle ci reste toujours a-typique dans le système démocratique français.
Quelle est la règle ?
En fait, l’élection présidentielle est de toutes les élections en France celle pour laquelle il y a le moins de formalités à accomplir pour pouvoir se porter candidat. Au point qu’il n’y a même pas, formellement, à déclarer publiquement sa candidature. Toute la procédure de présentation des candidatures est placée sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, dans le respect des étapes suivantes :
- il envoie, via les Préfectures, un formulaire dit de « parrainage » aux quelques 42 000 « élus habilités » (députés, sénateurs, maires, présidents des communautés urbaines, communautés d’agglomérations, communautés de communes, conseillers généraux, conseillers régionaux…) qui sont en droit de « présenter un candidat ». C’est fait depuis le 24 février.
- Chaque élu destinataire ne peux renvoyer qu’un seul formulaire, quel que soit le nombre de ses mandats.
- Les élus destinataires du formulaire ont jusqu’au samedi 16 mars 2012 à 18 h, s’il souhaitent « présenter un candidat », pour faire parvenir au Conseil Constitutionnel le formulaire (exemplaire original) complété avec le nom du candidat en question. C’est la date et l’heure de réception qui fait foi. Les télécopies ne sont pas acceptées.
- Le Conseil constitutionnel à jusqu’au lundi 19 mars à 17 h pour vérifier si les candidatures présentées peuvent être retenues. Ne peuvent être retenues que les candidatures ayant bénéficiées de 500 formulaires de présentation signées par des élus d’au moins 30 département différents sans que plus de 50 soient d’un même département.
- Dans son action de vérification le Conseil Constitutionnel exclut les formulaires signés par un Adjoint et pas par le Maire, que le sceau de la Mairie (ou de la Communauté de Communes, d’agglomération, etc…) est bien valide, que deux formulaires ne sont pas signés de la même personne, que le formulaire signé par l’élu est bien celui qu’il a reçu (et pas celui d’un collègue Maire, les formulaires sont numérotés). Il écarte aussi les formulaires d’élus qui ont publiquement déclaré avoir fait leur choix par « tirage au sort ». Pendant toute cette procédure de vérification, le système informatique du Conseil Constitutionnel bénéficie de la protection « confidentiel défense » !
- Pour chaque candidat bénéficiant de 500 présentations valides, le Conseil Constitutionnel vérifie le consentement du candidat (est-il d’accord pour se présenter ? Mais si, il doit vérifier), s’il remplit la condition d’âge (avoir 23 ans au moins) et s’il est bien électeur en France.
- Depuis 1988, à chaque candidat finalement « sélectionnable », le Conseil Constitutionnel demande qu’il lui remette une déclaration sur sa situation patrimoniale (ainsi que celle de son ou sa conjoint-e ; cette déclaration est remplacée par un avis d’imposition sur la fortune, si le candidat y est assujetti) qui sera publiée s’il est élu (celle du conjoint ne sera pas publiée). A la fin de son mandat, en 2017, le candidat élu devra à nouveau publier une déclaration de patrimoine validée par le Conseil constitutionnel.
Et voilà comment la liste des candidats à l’élection présidentielle se trouvera établie et publiée. Vous la trouverez dans vos médias préférés (et les autres) le 20 mars ou dans le Journal Officiel dans les jours suivants (sous l’intitulé : Liste des citoyens ayant présenté les candidats à l’élection du Président de la République. Pour mémoire, la liste des « parrains » 2007 est visible ici : http://droit.org/jo/20070324/CSCX0700788K.html )
Pourquoi cette procédure unique en son genre ?
On le voit. Si l’on s’en tient formellement à la procédure. Il n’y a pas de démarche personnelle des candidats. Pas de sélection par les partis politiques. Pas de dépôt de candidature en Préfecture ou auprès de quelque représentant de l’Etat que ce soit… Cette procédure des « présentations » par des « élus habilités », qui était très symbolique avant 1962 (en 1958, 80 000 élus participaient à l’élection du Président de la République, chaque candidat devait avoir 50 « parrainages ») porte la marque du sceau originel de l’Election présidentielle Française telle que la présentait le Général de Gaulle en 1962, au moment où la loi a institué qu’elle aurait lieu au suffrage universel direct : c’est la « Rencontre d’un homme et d’un Peuple, au delà des jeux partisans ». Et c’est l’explication : la procédure des « parrainages » signe déjà en elle même la qualité « hors normes » de celui qui est appelé à devenir le Président, élu au suffrage universel direct. Il est présenté non par les partis mais par une sorte d’« élite citoyenne et républicaine »…
Seuls changement, depuis les origines :
- en 1976, le nombre de « formulaires de présentation » exigé est passé de 100 à 500 (il y avait eu cette année là 12 candidatures validées et il a été considéré que c’était trop. Ce relèvement a été présenté comme nécessaire pour éviter la multiplication de candidatures, dites fantaisistes, de témoignage ou de « défense catégorielle ». Sans véritable effet : en 2002, il y a eu 16 candidats, et 12 en 2007 (comme en 1974).
- Pour chaque candidats, le nom de 500 élus les ayants présentés est tiré au sort et rendu public par le Conseil Constitutionnel, par souci de transparence. C’est cette dernière disposition qui a été contestée début février devant le Conseil Constitutionnel, parce qu’elle dissuaderait certains élus, sans étiquette, de remplir des formulaires de présentation en faveur d’un candidat « étiqueté politiquement ».
Les parrainages : un procédé devenu anti-démocratique ?
Lors des scrutins de 2002 et de 2007 la procédure des « parrainages », a subit des critiques grandissantes, de plus en plus véhémentes, de la part de candidats qui craignent d’être empêchés (et l’ont été parfois). Des critiques à nouveau présentes, crescendo, cette année. Parmi les plus fortes :
- la procédure n’a pas évité la multiplication des candidatures,
- tout en ne permettant pas de faire une place à des candidats potentiels populaires (ayant des intentions de votes substantielles) mais non liés à des formations disposants de nombreux élus,
- la publicité des « parrainages » conduit des élus de communes modestes et sans étiquettes à ne pas parrainer, par crainte de subir des « représailles » de la part de « seigneurs » politiques locaux (dirigeants d’intercommunalités, de Conseil Généraux, de Conseils régionaux), membres de partis politiques influents, et exerçant un chantage aux subventions.
Dirigeante d’un parti (Cap 21) qui s’est toujours tenu au rôle dévolu aux partis par la Constitution ( Article 4 : « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage »), ancienne ministre, Corinne Lepage qui avait pu être candidate en 2002, qui craint de ne ouvoir l’être cette année, a dit sa tristesse après la décision du Conseil Constitutionnel en déclarant : « C’est un échec pour la démocratie. La transparence qu’est sensée assurer la publication des parrainages conduit à la cooptation de quatre partis politiques et c’est inacceptable. Nous arrivons à un système de blocage. Que ce soit Le Pen, Poutou ou moi même nous ne sommes pas des fantaisistes. Nous représentons une tendance certes minoritaire mais une tendance quand même, donc nous avons le droit de figurer dans la campagne présidentielle ».

Ce sentiment de « déni démocratique » risque de prendre de l’ampleur si, le 19 mars prochain, Marine Le Pen – créditée de 15 % à 19 % des suffrages dans les intentions de vote – n’est pas retenue comme candidate, faute d’avoir présenté 500 formulaires d’élus en bonne et due forme. Il faut dire que dans le monde contemporain c’est une caractéristiques des « démocraties de façades » (notamment en Afrique de l’Ouest) que d’écarter du scrutin présidentiel un courant politique influent à quelques semaines de l’élection pour ce qui peut s’apparenter à une « tracasserie administrative »…
Ce qui intrigue, c’est l’absence totale de « pédagogie », de la part du pouvoir institutionnel comme des médias, doublée d’une sorte de « détournement de procédure » par les « grands » partis : alors que dans sa décision du 21 février le conseil constitutionnel a rappelé que “la présentation de candidats par les citoyens élus habilités ne saurait être assimilée à l’expression d’un suffrage”, peu de monde relève qu’une présentation de candidat telle que définie par la loi de 1962 n’est pas l’expression d’une préférence politique ; les partis qui disposent d’un grand nombre d’élus (Parti Socialiste et U.M.P. principalement) font parrainer leurs candidats par un très grand nombre de personnes, bien au delà des 500 « signatures », privant ainsi mécaniquement les « petits » candidats d’un grand nombre de « parrains » potentiels (en 2007, le Conseil Constitutionnel avait validé 16 615 formulaires sur les 16 900 reçus : si une demi-douzaine de candidats dépassaient tout juste les 500, ceux du P.S. et de l’U.M.P. ont bénéficié probablement à eux deux de presque 10 000 signatures).
Sans se prononcer sur le fond (il y a matière à débat et ce post est déjà très long), on peut faire ce constat : le fait que la difficulté dans la « course aux signatures » des candidats soit devenue de façon récurrente une séquence majeure de chaque campagne présidentielle est un symptôme de ce que les rouages de l’élection présidentielle en France sont « grippés ». Les modalités de cette élection méritent d’être revues.
Jean Sol
Sources :
image (c) oldbookillustratios.com
“Les modalités de cette élection méritent d’être revues.” C’est le moins qu’on puisse en dire! “Il est présenté non par les partis mais par une sorte d’« élite citoyenne et républicaine »…” Une telle assertion est pour moi anti républicaine et anti démocratique parce que contraire au principe de base de notre république: l’égalité. Effectivement nos élus se prennent pour une élite, alors que les fonctions qu’ils exercent ne le sont confiées que par délégation de ceux qui les ont élus et ils n’en restent pas moins leurs égaux. De plus, leur signature d’élus ne leur appartient pas, ils n’ont le droit de l’utiliser que dans le cadre du mandat et du programme qui l’ont fait élire et sous le contrôle de leurs électeurs et de tout citoyen sous leur juridiction. Dans ce cas, il n’est pas normal que ce soit eux qui aient le droit de décider que sera candidat.